L’origine de l’univers : Big Bang ou création ?

Science VS Bible

Une question existentielle

Sur une fameuse toile du peintre Gauguin figure cette triple question existentielle : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? On attribue souvent aux cosmologistes, qui étudient l’univers dans son ensemble et donc aussi son histoire, le pouvoir merveilleux de répondre au premier volet de cette interrogation. Ont-ils vraiment cette compétence, qui autrefois était plutôt l’apanage des sages, des philosophes, des prêtres ou des pasteurs ? Sûrement pas, car le pouvoir de la science n’est pas aussi grand que beaucoup veulent le croire. Voyons pourquoi, en tâchant de répondre à la question du titre.
La question « Big Bang ou création ? » est, nous allons le voir, mal posée, mais elle est intéressante en ce qu’elle constitue déjà un symptôme. C’est celui d’une certaine idée que l’on se fait, d’une part de l’univers tel qu’il devait être au commencement, à la lumière de la physique et des observations astronomiques, et d’autre part de la création. Pour savoir de quoi l’on parle, mieux vaut commencer par définir les termes.

« Big Bang », « création » : de quoi parle-t-on ?

Le Big Bang est l’événement de nature mystérieuse qui a donné lieu à l’expansion de l’univers. Comment se le représenter ? Imaginez que l’univers est semblable à un ballon que l’on gonfle, et sur la surface duquel vous aurez marqué au feutre des points représentant autant de galaxies. Dans cette analogie, le Big Bang serait en somme le premier souffle que vous insufflez dans le ballon. Vous observerez alors que plus le ballon gonfle, plus les galaxies s’éloignent les unes des autres, et que si vous soufflez régulièrement, plus elles s’éloignent vite. Notez que vous avez là un univers à deux dimensions, puisqu’il est limité à la surface du ballon, même si cette surface est courbe, mais cela n’a pas d’importance.

Admettons maintenant que l’on désigne deux « galaxies » au hasard sur la surface du ballon, que l’on mesure la distance x entre elles avec un mètre de couturière et que l’on porte sur un graphique cette distance en fonction du temps compté après le démarrage du premier souffle, donc après le « Big Bang ». On obtient à peu près une fonction linéaire, c’est-à-dire une droite qui passe par zéro – en trichant un peu sur l’analogie, car cela implique que votre ballon se réduit à un point quand il n’est pas du tout gonflé ! 
Maintenant, vous pouvez aussi mesurer le nombre n de galaxies par unité de surface en fonction du temps, ou en fonction de la distance que vous venez de mesurer. Et là, vous voyez en portant n en fonction de x sur un graphique (et même avant de le faire) que la densité n est énorme quand le ballon n’est presque pas gonflé, et diminue au fur et à mesure que le ballon grossit. En fait, n décroît comme 1/x2, et cette fonction devient infinie pour x=0. C’est ce qu’on appelle la « singularité » primordiale ; elle a bien une réalité mathématique dans le cadre de la théorie de la relativité générale d’Einstein, qui est la meilleure théorie de la gravitation dont on dispose. Beaucoup de physiciens doutent de sa réalité physique, car à de si petites échelles, une autre théorie devrait intervenir : celle de la physique quantique. Or personne n’a su jusqu’ici « marier » la relativité générale avec la physique quantique, si bien que nul ne peut dire si la singularité primordiale est plus qu’une extrapolation purement mathématique et abstraite.

La création est l’acte par lequel Dieu a amené tout l’univers à l’existence. Cet acte est par définition surnaturel, ou transcendant : en effet, il se situe nécessairement au-delà de notre univers, ainsi que des lois physiques, puisque ces dernières sont elles aussi créées.

Faut-il donc choisir entre Big Bang et création ?

Non, car la question est mal posée. Les deux ne sont pas du même ordre. En effet, le premier peut être considéré comme le commencement de notre univers, et peut être décrit (du moins en principe) à l’aide des lois physiques, tandis que le second est d’ordre surnaturel et échappe complètement à notre compétence. 
Figurez-vous que celui qui peut être considéré comme le principal « père » du Big Bang (vers 1927, bien qu’il n’ait pas inventé l’expression), l’abbé Lemaître, tenait très fort à cette distinction ! C’est ainsi qu’il reprocha vivement au pape Pie XII d’avoir affirmé que la conception scientifique de l’origine du monde était « témoin du Fiat Lux » , c’est-à-dire de l’acte créateur de Dieu accompagné de la parole « Que la lumière soit » (citée dans une traduction latine du verset 3 du livre de la Genèse), dans un discours à l’Académie pontificale des sciences en 1951. Un tel scrupule peut paraître superflu à première vue, mais c’est une manière de bien distinguer l’acte créateur proprement dit de ses effets observables, et aussi de souligner que la création n’est pas un acte unique et ponctuel, mais qu’elle se prolonge dans le temps et comprend plusieurs étapes. Certains théologiens disent même que Dieu ne cesse de créer aujourd’hui encore, et il est vrai que des étoiles se forment même maintenant. Dieu ne s’est pas absenté après une sorte de chiquenaude initiale qui aurait déclenché l’évolution de l’univers ; au contraire, il s’est donné la peine de superviser le développement de celui-ci, aussi bien que de l’humanité, et de chaque individu.

Que pensent les chrétiens de la théorie du Big Bang ? Il y a ceux qu’ on appelle les « créationnistes jeune-Terre », du fait qu’ils récusent la théorie de l’évolution des espèces vivantes et croient que la Terre est « jeune », son âge n’étant selon eux que de 6000 ans environ, en raison d’une interprétation très littérale du récit de la Genèse. Ils récusent donc le scénario du Big Bang, parce qu’il implique un âge de l’univers beaucoup trop considérable à leur goût : 14 milliards d’années environ. Pour eux, Dieu a dû créer l’univers d’un seul coup, dans son état actuel mais (pour les plus éclairés) avec une apparence d’âge, et cela en un instant. 
Pourtant, il est difficile de trouver une théorie de l’univers plus « créationniste » que le Big Bang : même si ce scénario n’implique pas nécessairement que rien sinon Dieu ou quelque cause première n’a précédé l’univers actuel, il montre un univers en évolution si radicale qu’il suggère fortement une création. C’est même en partie pour cela que la théorie du Big Bang a mis près de 40 ans à s’imposer, tant sa connotation créationniste, justement, la faisait tenir en suspicion ! Des cosmologistes comme Fred Hoyle ont déployé des trésors d’imagination pour attribuer à l’univers un caractère éternel, sans commencement ni fin, et c’est par dérision que Hoyle a forgé le terme Big Bang, lors d’une émission de radio, pour se moquer de l’idée d’un univers pourvu d’un commencement. Il faut donc être bien difficile, en tant que chrétien, pour dédaigner une telle théorie, qui est d’ailleurs très bien étayée.

La théorie du Big Bang : une sacrée surprise

L’idée que l’univers, loin d’être statique et immuable, a subi des changements profonds dans le passé, et en subit encore aujourd’hui, était très nouvelle il y un siècle, du moins dans les milieux scientifiques. Il est bien connu que le premier modèle d’univers imaginé par Einstein était statique. Alexandre Friedmann, un physicien et mathématicien russe, a remarqué le premier (en 1922) qu’en fait, les équations de la relativité générale d’Einstein avaient comme solutions les plus simples des univers en expansion. Einstein a mis des années à admettre que Friedmann et l’abbé Lemaître avaient raison.
Revenons à Hoyle, qui avec ses collègues Thomas Gold et Hermann Bondi, avait imaginé dès les années 1940 un modèle cosmologique ingénieux pour éviter le Big Bang. Selon lui, les vides laissés par l’expansion de l’univers (qu’il était bien obligé d’admettre) étaient remplis au fur et à mesure par des atomes d’hydrogène qui apparaissaient spontanément (en une sorte de création continue), et qui en s’assemblant finissaient par former des étoiles et des galaxies. Si l’on reprend l’analogie du ballon, cela revient à tracer au feutre de nouvelles galaxies durant le gonflage, de sorte que le nombre de galaxies par unité de surface reste le même en tout temps. Donc, en remontant le temps, c’est-à-dire quand on dégonfle le ballon, de plus en plus de galaxies s’effacent et leur densité n’augmente pas. Si l’univers est infini (il faut imaginer un ballon de taille infinie…), le processus peut donc continuer indéfiniment, et la question du commencement ne se pose plus ! Hoyle a défendu ce modèle (avec certaines variantes) jusqu’à sa mort en 2001, mais le Big Bang avait pris le dessus dès le milieu des années 1960, grâce à la découverte d’un rayonnement radio uniforme (le « rayonnement fossile ») que seule la théorie du Big Bang avait prévu.

La nature au regard de la science

La science n’a pas pour vocation de prouver l’existence de Dieu, mais de décrire la nature et ses lois. Néanmoins, la culture judéo-chrétienne a toujours considéré la nature comme une création divine, donc comme le reflet de la puissance et de la majesté de Dieu. Le regard de le science sur la nature peut fournir au chrétien une occasion de plus de contempler et de remarquer la beauté de la création, favorisant ainsi l’émerveillement et la louange. Il y a trois mille ans, le roi David s’exclamait déjà : « Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains, la lune et les étoiles que tu as créées : qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? » (Psaume 8) ; et l’apôtre Paul, mille ans plus tard, considérait aussi la création comme un témoignage de la perfection divine (épître aux Romains, ch. 1). Tous deux ne seraient-ils pas ébahis de voir à quel point ils avaient raison, au vu de l’incroyable immensité de l’univers que nous révèle la science moderne, et dont ils ne pouvaient soupçonner l’ampleur à leur époque ? A cet égard, ne sommes-nous pas privilégiés ? N’est-il pas remarquable que création et Big Bang forment un ensemble parfaitement plausible et logique, même si le second ne constitue pas en soi une preuve définitive de la première ?